On nous dit souvent que l’Union européenne ne s’est construite que comme un immense marché économique, ce qui est oublié que dès 1957, des mesures sociales sont préconisées en parallèle. Un hic, d’importance, celles-ci ne sont pas contraignantes dans l’ensemble, ce qui veut dire que chaque Etat membre agit comme bon lui semble sur son territoire.
Or, les politiques sociales ne doivent pas se résumer à être une variable d’ajustement des politiques européennes. Selon Albert Prévos, du CFHE (Conseil français des personnes handicapées pour les questions européennes), lors du séminaire qui s’est déroulé le 5 avril 2019 et qui portait sur la thématique « Elections européennes : quels enjeux pour le handicap ? » : « les initiatives de l’Union européenne, donc du Parlement européen, ont jusque-là réussi à maintenir une efficace pression sur les politiques des Etats membres en matière de handicap. Un grand nombre de mesures favorables aux conditions de vie des personnes handicapées trouvent leur source dans des réflexions et des actes législatifs issus de l’Union européenne. […] En France, une bonne partie des avancées réalisées dans le domaine du handicap, l’a été à la suite d’initiatives et sous l’impulsion de l’Union européenne. On peut citer la transposition dans le Code du travail français de la directive européenne de 2000 sur l’égalité de traitement dans le domaine de l’emploi et l’adaptation des postes de travail, protégeant ainsi les personnes handicapées de la discrimination sur le lieu de travail, la transposition de la directive européenne de 2001 sur l’accessibilité des moyens de transport, le règlement européen relatif au transport aérien de 2008, qui a établi un ensemble de droits spécifiques pour les passagers handicapés dans l’UE, le rôle d’impulsion joué par la Charte européenne des droits fondamentaux, la transposition dans notre législation en 2016 de la directive européenne sur les marchés publics, avec sa référence explicite à la Convention des Nations unies et ses exigences d’accessibilité, la publication de la directive sur l’accessibilité des sites web du secteur public, posant ainsi les premiers jalons d’une société numérique inclusive, et la directive actuellement en cours d’adoption définitive sur l’accessibilité des biens et services, même si le résultat est loin de répondre à nos attentes. »
Retour sur les étapes du volet social de la construction européenne 1957 : le Traité de Rome, projet d’intégration économique, dans lequel les gains de croissance doivent mener à une amélioration des conditions sociales dans les pays membres. Article 117 : « Les États membres conviennent de la nécessité de promouvoir l’amélioration des conditions de vie et de travail de la main d’œuvre permettant leur égalisation dans le progrès », ce qui sera le résultat essentiellement du « du fonctionnement du marché commun, qui favorisera l’harmonisation des systèmes sociaux ».
1986 : Acte unique européen. · Introduction du vote à la majorité qualifiée pour légiférer sur certaines questions sociales, telles que la protection du travailleur sur son lieu de travail (santé et sécurité au travail) · Reconnaissance du dialogue social en tant que procédure pour la gouvernance de la CEE (communauté économique européenne) · Établissement de la cohésion économique et sociale comme un des objectifs de la CEE (ce qui a été accompagné d’une extension des politiques et du fonds de cohésion à partir de la fin des années 1980).
1987, Jacques Delors souligne : “L’Acte unique, c’est, en une phrase, l’obligation de réaliser simultanément le grand marché sans frontières, plus de cohésion économique et sociale, une politique européenne de la recherche et de la technologie, le renforcement du système monétaire européen, l’amorce d’un espace social européen et des actions significatives en matière d’environnement. J’ai bien dit réaliser simultanément”.
1989 : adoption de la Charte européenne des droits sociaux fondamentaux des travailleurs (valeur juridique non-contraignante). La Charte fixe les grands principes sur lesquels se fonde le modèle européen du droit du travail et, plus généralement, de la place du travail dans la société, avec parmi les différentes rubriques : l’amélioration des conditions de vie et de travail ; la protection sociale ; la liberté d’association et la négociation collective : la formation professionnelle ; l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes ; la place des personnes handicapées… Adoption d’un programme d’action sur la base duquel sont adoptées des nouvelles législations européennes, notamment les directives suivantes : le temps de travail (93/14/CE) ; les femmes enceintes (92/85/CE) ; la preuve du contrat de travail (91/553/CE)...
1992 : Traité de Maastricht et Protocole social. Une Europe sociale à deux vitesses (mise en retrait du Royaume-Uni pour le Protocole social).
1997 : Traité d’Amsterdam. Intégration du Protocole social dans le Traité (application à tous les pays de l’UE).
2001 : Charte des droits fondamentaux de l’UE. Droits des citoyens européens : la charte inclut des droits sociaux et civiques.
2007 : Traité de Lisbonne. La Charte est intégrée dans le traité, ce qui lui confère une valeur juridiquement contraignante (mise en retrait du Royaume uni, de la République tchèque et de la Pologne). Article 9 du TFUE (traité sur le fonctionnement de l’Union européenne) : « Dans la définition et la mise en œuvre de ses politiques et actions, l’Union prend en compte les exigences liées à la promotion d’un niveau d’emploi élevé, à la garantie d’une protection sociale adéquate, à la lutte contre l’exclusion sociale ainsi qu’un niveau élevé d’éducation, de formation et de protection de la santé humaine »
2007-2012 : crise financière mondiale et crise de la dette dans la zone euro Conséquences sociales majeures : divergence des performances sociales et remise en cause des droits sociaux et des conditions de travail dans certains pays.
Depuis 2010 : Socle européen des droits sociaux (SEDS). Adopté au Sommet social de Göteborg (Suède) le 17 novembre 2017, le SEDS consacre vingt principes et droits dans les domaines suivants : égalité des chances et accès au marché du travail ; conditions de travail équitables ; protection et inclusion sociales (dont l’inclusion des personnes handicapées). Principe 3 du Socle : L’égalité des chances. « L’égalité de traitement et l’égalité des chances sont applicables à toute personne, sans distinction fondée sur le sexe, la race ou l’origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, pour ce qui est de l’emploi, de la protection sociale, de l’éducation, ou encore de l’accès aux biens et aux services à la disposition du public. L’égalité des chances des groupes sous-représentés doit être encouragée. » Principe 17 du Socle : L’inclusion des personnes handicapées. « Les personnes handicapées ont droit à une aide au revenu pour vivre dans la dignité, à des services leur permettant de participer au marché du travail et à la vie en société ainsi qu’à un environnement de travail adapté à leurs besoins. »
Mise en œuvre d’un Tableau de bord social : il comporte 93 indicateurs clés en matière sociale, d’éducation et d’emploi (ventilés notamment par âge, genre et niveau d’éducation) regroupés en trois dimensions : égalité des chances et accès au marché du travail ; marchés du travail dynamiques et conditions de travail équitables ; soutien des pouvoirs publics, protection et inclusion sociales.
La Carte européenne du Handicap ou European Disability Card (EDC) : l’EDC a été développée pour offrir un meilleur accès à la culture, aux sports, aux loisirs aux personnes en situation de handicap. Huit Etats membres de l’UE participent au projet de développement de cette carte : Belgique, Chypre, Estonie, Finlande, Italie, Malte, Slovénie, Roumanie.
L’Acte européen d’accessibilité, voté le 13 mars 2019, et les Etats membres ont six ans pour le mettre en application. Il vise deux objectifs principaux : améliorer le quotidien de 80 million d’Européens en situation de handicap et faciliter la circulation des biens et services accessibles en supprimant les barrières dues à des différences dans les législations entre les différents Etats membres.
Pour conclure Je laisse la parole une nouvelle fois à Albert Prévos : « Ces élections enfin sont importantes parce qu’elles devraient voir pour la première fois un nombre croissant de personnes handicapées accéder au vote, avec la fin des interdictions de vote opposées à des personnes handicapées sous tutelle dans cinq pays supplémentaires depuis un an, en Espagne, au Danemark, en Slovénie, en Allemagne et depuis peu en France. […] il est important que les personnes handicapées s’emparent de cette possibilité qui leur est enfin offerte d’exprimer leur propre avis sur les décisions qui les concernent. »
|