La tornade vue de Pen Duick III

- et autres récits d'équipiers.


Bonjour à tous,

Dans la précédente Newsletter Antoine Croyère nous racontait les durs moments vécus quand Pen Duick VI a été pris dans une tornade, et il nous disait l'inquiétude qu'ils avaient eu pour Pen Duick III qui était à 6 miles de là.

Trois équipiers qui ont embarqué pour ce convoyage retour de méditerranée m'ont envoyés leurs récits.

- André Chiche était à bord de Pen Duick III, et j'ai extrait de son récit l'épisode de la tornade, Jacques Rivière et Serge camus étaient à bord de Pen Duick VI pour l'étape finale de Cascais (Lisbonne) à Lorient, trouvez leurs récits ci-après.

Pour le récit complet d'André, long et passionnant, vous le trouverez sur le site de l'Association en cliquant sur ce lien:

1717 miles à bord de Pen Duick III

Je vous souhaite bonne lecture, et à bientôt,

Denis Löchen


« La tornade vue de Pen Duick III » par André Chiche.

Entre Pen Duick III et Pen Duick VI on régate, pour rire …

C'est toujours pareil. Des que 2 voiliers naviguent à proximité, ils sont en « compète », ils se tirent la bourre, et c'est celui qui arrivera le premier à destination. Entre « voileux » C'est une question de fierté, c'est à celui qui tirera le meilleur parti de son voilier, des éléments, des sautes du vent et qui exploitera au mieux la situation.

Sur Pen Duick III nous avons sorti tout le « linge », yankee, trinquette, voile de misaine, grand voile ; zut ! Le vent est trop pointu pour mettre le spi asymétrique, la cote ouest de Mallorca se rapproche et nous essayons de garder notre avance sur Pen Duick VI pour, arriver à Palma les premier et … bien sûr, « gagner » l'étape, mais pour rire bien sur.

Mais a n'en pas douter, sur Pen Duick VI, ils ne l'entendent ainsi et ne vont pas se laisser faire et eux aussi ont envoyé toute la toile le Yankee une belle voile toute récente faite sur mesure qui a coûté « un bras » et qui pèse plus de 50 kg, la grand voile lattée, l'artimon. Les hommes de quart sont suspendus à la barre à roue, a un puis à deux, tellement le voilier de 23 mètres file sur les vagues.

C'est vrai, le vent a forci, et … sur notre droite le ciel s'est obscurci silencieusement. Un front de nuages bas et noirs au raz des vagues gagne sur nous en venant de l'ouest. Je dis à Patrick « tu vois ça, en désignant les nuages noirs, cela ne me plait pas du tout ».

David S. qui est toujours en désaccord avec son estomac est calé dans l'arrière étroit derrière les winches du yankee pour prendre l'air. A ce moment nous sommes en mer depuis 2 jours et je suis pressé de contourner le Cap au sud ouest de l'île de la Dragonera qui nous sert d'amer et d'arriver au port de Palma.

Une tornade croise notre route

A ce moment, le ciel est devenu très noir et le plafond très bas. Là, les éléments se déchaînent, une pluie drue crépite autour de nous, le grain est sur nous. Arnaud et Patrick à grands renforts de muscles affalent, le yankee, la misaine, prennent 2 ris dans la grand voile, la puissance du vent augmente à la vitesse grand V, Arnaud pieds nus qui n'a pas eu le temps de s'équiper prend la barre, David S toujours capelé à l'arrière ne peut plus bouger, le voilier gîte à 45°, tout le reste de l'équipage reste à l'intérieur prêt à intervenir.

J'ai le nez sur l'anémomètre et je vois l'aiguille atteindre les 52, 55 nœuds. Arnaud est arque-bouté sur la barre de toutes ses forces pour empêcher le voilier de partir au lof. Le vent est si fort, que tout le gréement est « secoué comme un prunier ». Les mâts tremblent, le bruit est tel que l'on a l'impression d'être dans le tambour d'une machine pendant un essorage. Je risque ma tête dans le cockpit. L'aspect de la mer est celui du passage d'un ouragan. Cela va durer 15 minutes, creuser la mer, et le vent va ensuite retomber à 35/40 nœuds, beaucoup plus négociable pour un bateau comme Pen Duick III. L'épicentre du grain est passé.

Jean Philippe s'inquiète pour nous

Soudain une voix retentit à la VHF, c'est la voix calme et posée de Jean Phi. (le skipper de Pen Duick VI) qui s'inquiète pour nous, car notre voilier est plus petit et plus bas sur l'eau.

«Arnaud, ici Pen duick VI, nous avons été pris sous une tornade, l'anémomètre a été bloqué à 80 nœuds, nous avons perdu le Yankee que nous avons du couper au couteau, les boîtiers de lattes ont explosés et une partie des coulisseaux de la grand voile arrachés les uns après les autres, en partant de la têtière. La grand voile est tombée à l'eau. Nous avons tout affalé, récupérer ce que nous avons pu et faisons route directe au moteur sur Palma. Nous espérons que pour vous tout va bien. Nous restons à l'écoute. Terminé. ».

Nous saurons plus tard ce qui s'est passé à bord de Pen duick VI par les récits de Jean Phi, Simon, Greg, Rudy, Leo et les autres. Pen Duick VI filait à 12 nœuds avec des surfs à 16 nœuds, ils étaient 2 ou 3 à se pendre à la barre à roue ? En fait quand le vent a forci, le Yankee a été amené et ferlé rapidement et arrimé avec un raban à une cadène. Quand le vent s'est mis à souffler à plus de 150km à l'heure, il a pivoté de 180°, entraînant un virement en « cata ». Le Yankee est remonté le long de l'étai en arrachant la cadène soudée au pont, et en emportant au passage un chandelier. Les équipiers, dont certains taillés comme des rugbymen suspendus à cette voile n'ont pas réussi à la redescendre. C'est plutôt la voile qui les tracte vers le haut. Certains équipiers ont du ramper sur le pont pour se mettre à l'abri.

Jean Phi qui était à la barre a hurlé « çà vire » et ordonne à Simon le second, de prendre le couteau et de couper la voile pour libérer le bateau du yankee qui risquait de faire démâter le voilier. Sans discuter, Simon s'est précipité à l'avant avec le couteau et a tranché la voile d'avant qui s'est évaporée dans l'air en lambeaux sous les yeux ébahis de ceux qui étaient restés sur le pont. Tout le reste de l'équipage et des adhérents est à l'intérieur. Heureusement la grand voile défaite du mât et qui était passée à l'eau a pu être récupéré à grand peine.

La Tornade est passée, mais je pense qu'elle sera au cœur des discussions à Palma.

Ouf, Jean Phi, et Arnaud peuvent respirer. Pas de blessé, pas d'homme à la mer, ce qui aurait pu être –dans ces conditions de vent- être dramatique, certes il y a des dommages matériels sur Pen Duick VI …

On peut se rouler une cigarette, et ce soir, faire couler la bière… à Palma. Ah ! La magie des escales … Heureusement qu'elles sont là pour se requinquer.

Dans ces situations on se félicite d'être sur un voilier aussi solide que Pen Duick III qui de plus a été remis à neuf en 2011

Le ciel s'est éclairci et le vent un peu retombé Nous faisons route vers Palma dans une mer formée, dès que nous contournons l'île de la Dragonera au sud de Mallorca la mer va un peu se calmer.

Nous arriverons la nuit tombée au port de Palma vers 19h30. Pen Duick VI est déjà amarré au quai d'honneur nous allons pouvoir échanger sur nos « aventures » de l'après midi.

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Retour de Pen Duick VI à la maison. par Serge Camus

Et oui ! Qui m'aurait dit qu'un jour j'embarquerai sur l'un des bateaux d'Eric Tabarly pour une telle traversée !
Un rêve inaccessible devenu réalité.

L'embarquement à Cascais situé près de Lisbonne fut sans transition, récupération du sac a l'aéroport, taxi avant la présentation rapide de l'équipage tandis que notre skipper Jean Phi établissait les quarts, nous avalons vite fait un potage de vermicelle chinois.
Hop! C'est parti, du portant avec 20nd de vent plutôt cool pour un début en ménageant nos estomacs.

Six membres de l'Association pour six matelots et un skipper, sécurité accrue à bord de Pen Duick VI.
Coup de vent à 35nd à la pointe Finisterre, Jean Phi notre capitaine décide de faire escale à la Corogne en attendant une accalmie prévue dans les prochaine 24 heures.
Il souffle fort sur le promontoire du phare d'Hercule.
Cette escale nous permet de jouer les touristes en visitant le phare, la vielle ville et aussi quelques restaurants.

Le lendemain matin, nous appareillons pour la traversée du golfe de Gascogne sous un soleil radieux ; certes, le vent souffle encore, mais rien de comparable avec hier.
Quelques rencontres de mammifères marins distraient l'équipage « Une baleine par le travers bâbord! Non c'est un Cachalot !» nous dit Greg.
Mais l'air goguenard de ses copains laisse planer un doute.
«C'est plutôt un tronc d'arbre ton cachalot ? » lui répond avec un petit sourire narquois ses compagnons.
Quelques heures plus tard, on entend « Une Baleine ! Là sur tribord !» furtive mais bien réelle, nous sommes plusieurs à avoir vu un des plus grand animaux de la planète.
Dans la soirée, nous avons droit à un nouveau spectacle, un banc de Dauphins en chasse qui partage un festin avec les oiseaux, sans un regard pour Pen Duick VI.

La dernière nuit à bord s'organise : les quarts se mettent en place pendant que, Jean Phi confectionne de bonnes crêpes « bretonnes » très appréciées par l'équipage.
Comme d'ordinaire, les quarts se succèdent dans une ambiance conviviale avec beaucoup de vigilance indispensable.

Le phare de Belle Ile fut le premier signe d'une arrivée proche, puis les éclats de celui de Pen Men à Groix confirment notre arrivée à Lorient.

Les membres de l'Association auraient prolongé cette « aventure », mais le skipper et ses matelots ne voient pas les choses ainsi.
Après quatre mois de campagne « Méditerranéenne », leurs pensés se tournent vers la terre et leurs proches.

Merci pour leur professionnalisme et leur sympathie.

Merci à l'Association Eric Tabarly pour ce beau voyage.

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« Navigation zizagodromique ». par Jacques Rivière

Ce mercredi 24 octobre 2012, c'est à peine arrivé à la marina de Cascais, près de Lisbonne que le skipper de Pen-Duick VI, Jean-Philippe nous annonce un départ pour la nuit, car il faut arriver à la Corogne avant vendredi, la journée suivante le vent étant annoncé de Nord Est force 8-9 dans le golfe, en plein dans le nez.

Pouvoir éviter 40-50 noeuds au près nous fait donc décoller vers 20 heures, allures portantes (où est l'alizé portugais ?). Plein Nord, poussé par un front chaud force 6-7: deux ris dans la grand-voile, petit yankee et trinquette lourde sur l'avant.
Ainsi transperçons nous la nuit de bronze à vive allure.
En guise de briefing de sécurité un bref, laconique et sans appel : «brassières obligatoires la nuit» vaut mieux que tout long discours ou démonstrations foireuses. Le reste est affaire de bon sens et de responsabilité individuelle.

Le bateau se soulève donc dans la nuit avec des pointes à plus de 16 noeuds sur la crête des vagues. Pas mal pour une coque peu planante! Le premier contact avec ce char d'assaut par bon vent est magique : tant de rêves qui se réalisent enfin !
Immense privilège de pouvoir naviguer, nous béotiens certes éclairés, sur ce vaisseau mythique qui a vu défiler tant de marins connus et le plus célèbre d'entre eux: Éric, qui est à l'histoire de la voile ce que le Général est à l'Histoire de France.

Le petit matin de ce jeudi voit le ciel se déchirer de lambeaux mordorés, vite relayés par des nuages de cobalt au fur et à mesure que s'abattent de gros grains d'encre. Et c'est là que je commence à comprendre tout l'engagement physique qu'il faut déployer à cinq ou six pour affaler, changer les lourdes voiles d'avant, et maîtriser l'envolée rebelle de la toile.

Enfin arrive ce moment tant convoité et un peu redouté où le chef de quart me confie la barre. Et sous le fin tressage, je sens sous mes doigts la présence tutélaire de tous ces célèbres marins. Plusieurs jours durant je ne pourrais m'affranchir de ces images fantomatiques.

La journée du 25 voit s'étirer sur notre tribord les côtes portugaises puis espagnoles. Et c'est au petit matin du 26 octobre que nous doublons le Cap Finistere par une brise languissante.

La côte de la Galice se découpe de rias prometteurs d'escales magnifiques, mais point de relâche, il faut arriver à la Corogne avant la tempête annoncée.
Deux nuits en mer, puis deux nuits à terre: se coincer dans une étroite fenêtre météo pour arriver à Lorient avant une nouvelle dépression.
Il faut dire qu'il y a 10 jours Pen-Duick VI a essuyé une tornade de 80 noeuds!

C'est donc dimanche matin, le vent d'est ayant molli que nous repartons, cap au 45, sur un golfe de Gascogne aussi calme que le lac Léman.

Liston dans l'eau, avec une vitesse frôlant les deux chiffres, yankee et trinquette légère puis grand génois hissé haut, la vie s'organise au près, de manière somme toute confortable, les palans des couchettes au vent bien souqués pour conserver un reste d'horizontalité. La cuisine, et la vie dans les deux petits carrés fait alterner de grands moments de convivialité.

Puis de nouveau, la nuit longue et froide de cette fin octobre, escortés de dauphins fendant les flancs du bateau comme des lames de couteau. Et puis Pen-Duick III que nous doublons en déchirant l'aube naissante.
Puis les nuages qui jouent à saute-mouton avec la pleine lune éclairant le pont tout fraîchement repeint d'une vaste blancheur laiteuse.

Le petit matin du lundi couvre le pont d'un reflet diaphane et rosé alors que des silhouettes emmitouflées de noir redescendent et que d'autres prennent leur quart. Le GPS de mon Smartphone (merveilleux couteau suisse, véritable table à cartes miniature) m'indique que nous sommes déjà à la latitude de Cordouan.

Et je commence à sentir que le corps épouse totalement les formes du bateau, se fondant avec lui sans heurt. Malgré l'aspect brut de l'aluminium, les courbes du grand cockpit, du poste de barre, l'ergonomie des petits cockpits a été remarquablement réfléchie et d'un confort sans égal comparé aux vastes arrières découverts des grands voiliers de course modernes.
Seule la descente, au départ très étroite et raide, s'avère en fait assez commode sauf pour les gabarits de plus de 1,80m de haut.

Toujours le cap direct sur Lorient au 45. Traversée du golfe sans complexe navigation zizagodromique. Le vent adonne au suet et faiblit. Le bateau revient progressivement à l'horizontale, les assiettes remplacent les bols dans le carré, et la table à cartes à cliquets retrouve une orientation de salon nautique.

Depuis 24 heures, ce lundi matin un peu plus de 200 milles sont inscrits au compteur depuis notre deuxième départ. Ce n'est pas un record, juste une honnête moyenne pour ce grand oiseau aux ailes largement déployées. Mais que faire!
Le vent bien qu'adonnant ne fait que mollir. Bientôt la fumée des cigarettes de nos jeunes équipiers montera à la verticale.
Qu'ils ont pourtant envie de regagner le rivage, depuis quatre mois qu'ils ont quitté leur lande bretonne. Pour l'instant ils essaient de tirer le meilleur parti de la brise évanescente…
Dans la nuit pâle et diaphane un halo de métronome cingle quatre fois le ciel: ce ne peut être que Goulphar un peu à tribord du cap, nous en sommes donc à presque 25 milles à l'estime. Cette bonne vieille estime, infiniment plus incertaine et poétique que les points immédiats de notre électronique. Elle nous fait sentir la terre ou le large et l'essence de l'essentiel qui en découle.

Peu après mon quart, à peine assoupi dans le carré à droite de la descente, je me laisse bercer par le frôlement de la mer sur la coque qui devient plus onctueux et moins sonore, remplacé par le martèlement des biellettes venant de l'avant du mât. Et oui, le moteur est situé sur l'avant, comme pour s'excuser d'être là.
Nous ne l'avions presque pas entendu depuis Lisbonne. Nous qui rêvions d'une entrée fracassante tout dessus par la passe sud. Sous spi, pourquoi pas ?

Groix défile à bâbord dans la clarté translucide de l'aube. Les bouées égrènent leur chapelet aux doux noms évocateurs: les Errants, la Bastresse.
Le soleil naissant qui a perdu ses reflets carminés, découpe les pignons de granit des belles villas de Larmor-Plage.

Pen-Duick VI est heureux de retrouver son appontement après cette fugue de jeune homme vers la Méditerranée, ses côtes escarpées et rougeoyantes, son soleil aveuglant, ses marins endimanchés de vareuses immaculées ou de bermudas trop bien coupés.

Notre équipage est tout émoustillé de rentrer au bercail. Valeureux équipage, jeune et hyper-compétent à la fois, aussi à l'aise dans les changements rapides des voiles d'avant qu'à l'élaboration d'une aromatique mitonnée à califourchon sur la selle du cuisinier.
Les deux housses sont vite étirées et clipsées sur les bômes, les pare-battages et les gardes à leur poste sur tribord.

Dans la douceur de ce petit matin breton, Pen-Duick VI embrasse avec une infinie et tendre retenue son appontement à la Cité de la Voile Eric Tabarly.

Pudique Pen-Duick VI



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